Thérapeutiques innovantes dans la mucoviscidose
La prise en charge thérapeutique de la mucoviscidose est en train de se modifier. Ces dernières années, de nouvelles stratégies thérapeutiques sont en cours d’évaluation.
Elles visent à corriger les anomalies protéiques liées aux mutations et ciblent ainsi l’origine même de la maladie. Ceci est du à une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie qui a permis d’identifier les cibles thérapeutiques.
Cet article fait le point sur les molécules en développement clinique.
Les différentes étapes de la physiopathologie de la maladie ont permis de définir plusieurs stratégies thérapeutiques. La thérapie génique s’attache à corriger le gène anormal, les thérapies d’édition d’ARN modifient les ARNm porteurs de mutations, les thérapies protéiques modulent les conséquences des mutations, les thérapies de substitution recherchent des voies alternatives aux anomalies de transport ionique.
Les études cliniques récentes montrent qu’une restauration de 10% de protéine à la membrane suffit pour diminuer de façon significative les symptômes, augmenter les fonctions respiratoires de 12 % et diminuer de 40 mEq/L le Cl- sudoral.
Thérapie génique
Après une première phase d’engouement pour cette approche thérapeutique, plusieurs problèmes cruciaux ont été soulevés, mettant en échec les essais jusqu’à maintenant. D’une part, il existe un très faible niveau d’expression de CFTR au niveau cellulaire malgré des administrations répétées. Les vecteurs capables de transférer le gène de manière efficace peuvent être des vecteurs viraux ou des vecteurs inertes synthétiques, lipidiques cationiques ou polypeptidiques solubles et polymères cationiques, dont le niveau de transfection reste faible. D’autre part, les cellules cibles ont été jusqu’à maintenant les cellules épithéliales totalement différenciées, où l’ADN doit s’exprimer en l’absence de multiplication cellulaire. Enfin, le gène d’intérêt transduit est une unité transcriptionnelle d’ADNc de CFTR et non l’ensemble de la structure génomique.
Thérapie de transcrit
Les mutations de classe I induisent l’absence de fabrication totale ou partielle de la protéine. Elles regroupent des mutations non-sens caractérisées par la présence d’un codon stop prématuré (PTC) – UAA, UAG ou UGA – et des décalages du cadre de lecture ou des mutations au site invariant d’épissage introduisant un PTC. Certaines molécules peuvent court-circuiter ce signal stop. Dans ce cas, un acide aminé est inséré et, s’il n’affecte pas la structure de la protéine, celle-ci est alors fonctionnelle. Cette thérapie anti-nonsens est basée en quelque sorte sur l’induction d’une infidélité de lecture. Si un nombre suffisant de PTC sont court-circuités, cela peut aboutir à une restauration de la fonction à l’échelle du tissu et de l’organisme.
Les molécules les plus reconnues à cet égard sont les aminoglycosides. La gentamycine intraveineuse a démontré des résultats similaires et surtout une normalisation du test de la sueur et une amélioration de l’état respiratoire sans corrélation avec le statut infectieux.
Ataluren (PTC Therapeutics, Inc.) a été identifié après criblage de plus de 800 000 molécules. Des essais de phase II ont montré une normalisation de la fonction de la protéine pour plus d’un tiers des patients. Un essai international versus placebo de phase III n’a pas confirmé ce bénéfice et il existe une recherche pour le développement d’autres molécules.
D’autres stratégies de recombinaison homologue d’oligonucléotides sur l’ARN muté peuvent se faire directement ou bien en utilisant la technologie CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeats/Cas9 (CRISPR-associated protein 9) permettant de modifier de façon spécifique la séquence nucléotidique d’un gène ou d’un ARN. Le système CRISPR utilise un ARN guide (ARNg) constitué d’une séquence constante de 42 nucléotides et d’une séquence variable de 17 à 20 nucléotides complémentaires de la séquence cible. La seule restriction est que cette séquence doit être suivie par une séquence NGG ou NGA (appelée Protospacer Adjacent Motif, PAM). L’ARNg forme un complexe avec l’ADN et la nucléase Cas9. La coupure par la nucléase se fait exactement trois nucléotides avant le PAM et est ensuite réparée par recombinaison.
Thérapie protéique
Les thérapies protéiques visent à corriger les anomalies protéiques liées aux mutations et ciblent ainsi l’origine même de la maladie. Leur mise au point résulte d’une politique de développement particulièrement remarquable, initiée en 1998 par l’association nord-américaine de mucoviscidose.
Les potentiateurs
La preuve de concept a été faite pour la mutation G551D, située à un point crucial de l’interface entre NBD1 et NBD2 et abolit l’ouverture du pore, ATP dépendante. VX-770 (Ivacaftor, Kalydeco, Vertex Pharmaceuticals) est un potentiateur qui restaure l’ouverture du pore de CFTR-G551D à un niveau identique à celui de protéine sauvage. Les études ont montré une efficacité clinique remarquable en termes fonctionnels respiratoires et une amélioration du test de la sueur. Dès le quinzième jour, le VEMS est augmenté de 10,6 % dans le groupe traité par rapport au groupe placebo, amélioration qui se maintient pendant tout le traitement et touche tous les patients quel que soit leur degré d’atteinte pulmonaire.
Le traitement diminue le risque d’exacerbations infectieuses de 55 % et les patients ont pris en moyenne 2,7 kg. Cela pourrait être rapporté à une activité spécifique sur l’épithélium pancréatique qui verrait sa fonction se restaurer. Si c’est le cas, cela bouleverse le dogme selon lequel le pancréas exocrine est définitivement détruit chez les patients insuffisants pancréatiques. La restauration fonctionnelle est confirmée puisque le chlorure sudoral est diminué de 48 mmol/L en comparaison au placebo.
Ces résultats remarquables établissent une preuve de concept. Ils démontrent pour la première fois qu’une transformation moléculaire, au cœur de la cellule, peut se traduire en un bénéfice clinique qui améliore la qualité de vie quotidienne et probablement va transformer la survie des patients. Cela a permis le développement clinique de la molécule en un temps record, puisque la molécule a été mise sur le marché à peine un an après les résultats de la phase III. Cela laisse entrevoir le potentiel thérapeutique de telles molécules si elles sont prescrites précocement.
Ivacaftor augmente la probabilité d’ouverture de tous les mutants présents à la membrane et ayant une fonction résiduelle, notamment les mutations de classe 3. Une AMM a déjà été accordée pour huit mutations supplémentaires (G178R, S549N, S549R, G551S, G1244E, S1251N, S1255P, et G1349D) grâce à une étude en cross over versus placebo, et plus récemment 23 mutations supplémentaires grâce à une approche in vitro.
La prescription de Kalydeco®, un comprimé à 150 mg 2 fois par jour, doit s’accompagner d’une surveillance du bilan hépatique et des intéractions médicamenteuses (notamment avec les azolés).
Les associations correcteur/potentiateur
Un correcteur est un composé (comme le Lumacaftor) qui agit directement sur la protéine anormale pour améliorer sa maturation et son trafic intracellulaires, en augmentant ainsi la quantité de protéines CFTR fonctionnelles à la surface cellulaire. L’association d’un correcteur et d’un potentiateur (Lumacaftor/Ivacaftor) a démontré pour les patients F508del homozygotes une amélioration modeste mais significative du VEMS versus placebo. Les deux études de phase III (TRAFFIC et TRANSPORT) ont exploré 1108 patients, dont ¼ d’adolescents de plus de 12 ans. Le VEMS à 24 semaines montrait un gain d’environ 3%, y compris pour les patients avec une atteinte fonctionnelle respiratoire sévère (VEMS<40%) Ceci était associé avec une diminution importante de la fréquence des exacerbations respiratoires (-30 à -39%) et des hospitalisations sur une période de 24 semaines.
L’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’Orkambi® (Lumacaftor/Ivacaftor) pour les patients F508del homozygotes, à partir de 12 ans a été obtenue en janvier 2015, et tout récemment aux Etats-Unis pour les 6-12 ans. La phase d’extension de TRAFFIC et TRANSPORT (PROGRESS) semble montrer la persistance de ces effets bénéfiques à 72 semaines . En France, un observatoire en vie réelle des patients traités par Orkambi® (posologie 400mg/250mg, 2 fois/jour) est en cours pour envisager si cet effet se perpétue.
Un composé adapté, moins sensible aux inducteurs du CYP3A que le lumacaftor, VX-661 (tezacaftor), démontre la même efficacité que l’Orkambi et est mieux toléré. En association avec l’ivacaftor (Symdeko), il remplace désormais Orkambi aux USA pour les patients homozygotes F508del.
Correcteurs de 3eme génération
Plus récemment l’association de molécules de 3ème génération (VX-440 et VX-152) à Symdeko montre une amélioration des fonctions respiratoires de 10 à 12% chez des patients hétérozygotes F508del en trans d’une mutation avec fonction minimale, ou homozygotes F508del déjà traités par Symdeko et dont la fonction s’améliore de 9,5%. Ceci est associé avec une amélioration du test de la sueur.
Conclusion
Ces différentes stratégies sont susceptibles de modifier le pronostic des patients atteints de mucoviscidose. Elles soulèvent néanmoins beaucoup d’inconnues : effets secondaires à long terme, échappement avec le temps, effets sur d’autres organes que le poumon et le pancréas. Une nouvelle ère se dessine pour cette maladie mortelle et permet d’envisager désormais une thérapie personnalisée pour chaque patient.